Fréquence Mulholland

Sandra Moussenpès, 'Fréquence Mulholland', publication, 2023

Fréquence Mulholland est une variation libre autour du film de David Lynch Mulholland Drive. Ce livre questionne la notion de doublure en établissant des ponts entre décorum cinématographique et vie réelle des actrices/acteurs. Alternant les époques et les atmosphères notamment le Hollywood des années 70 avec ses starlettes hippies et ses sectes. 
En parallèle, depuis un angle de perception auto-fictif, une femme s’interroge sur sa propre identité dans un environnement étrange où sont convoquées les réminiscences d’une relation toxique.

Parution : Éditions MF, décembre 2023

À propos de l'ouvrage

La lire, c’est entrer dans un univers poétique qui tient d’une forme de magie scripturale dotée d’un pouvoir de transgression lui permettant de franchir seuils, passages et sas donnant accès à un espace-temps modifié où des passés disparates se chevauchent et s’entrelacent, jouent avec le non-avenu, et où le poème – « Un poème est une façon de me laisser aller à ce qui s’échappe » – devient aussi une boîte enregistreuse de voix qui font leur cinéma. Des voix venues de dialogues décontextualisés, d’échanges intimes ou même d’outre-tombe, des bribes de « vocalités scénarisées » qui souvent illustrent des rapports de force ou de soumission, instaurent un climat d’étrangeté, déstabilisent l’instance narrative, à l’image d’une réalité et d’une identité devenues elles-mêmes instables, minées qu’elles sont par les faux-semblants, le retour d’expériences traumatiques et les conséquences du deuil inachevé, inachevable, de la disparition du père. « En 1981 il trépasse brutalement, les entités se délitent, plus rien / ne pourra être dit, les proies sont silencieuses jusqu’à se figer ».

Des réalités qui font de Sandra Moussempès un musée vivant où des fantômes circulent en silence, et de la plupart de ses poèmes une orchestration de mouvements de revenance et de survivance qui sont autant de manifestations d’une mémoire inconsciente, de ce qui insiste d’un passé qui ne passe pas, ne cesse de resurgir avec tout ce qu’il contient d’inapaisé et d’inapaisable.

Richard Blin, Le Matricule des Anges


Magnétique : tel est le mot qui caractérise le nouveau et formidable recueil poétique de Sandra Moussempès, Fréquence Mulholland qui paraît ces jours-ci aux toujours impeccables éditions MF.

Librement inspiré de Mulholland Drive, le film de David Lynch, Moussempès retrouve ici ce qui singularise sa poésie et la place parmi les plus importantes du champ contemporain : un univers spectral, qui résonne d’images diffractées, de traumas photographiés, où le vers se fait télépathique, où, surnaturelles, les figures féminines sont des icônes fragiles exposées à la violence masculiniste. Où des atmosphères poétiques saturées d’angoisse montent derrière le papier glacé des magazines. Peut-être plus que dans ses précédents recueils, Sandra Moussempès se livre ici à demi-mot sur le substrat biographique et télépathique de ses vers.

Johan Faerber, Diacritik


Des films et des filles, des poupées et des fantômes, des voix et des corps, des hallucinations sonores et des faux-semblants, des perruques et des costumes, des couleurs et du noir et blanc, de la prose et des vers : le dernier livre de Sandra Moussempès raconte une « Californie intérieure » peuplée de femmes fatales dont la poète transcrit les aventures et les disparitions.

Il est, aussi, question d’emprises et de traumas, d’abus et de meurtres, de cadavres et de revenants, d’hypnoses et de somnambulismes. Mais, et c’est ce qui fait la force et la singularité du livre, rien n’est exposé frontalement : la scène du, voire des crimes reste cachée, tout juste effleurée par les mots qui tentent de la circonscrire. « J’aurais voulu tout dire/Mais dire ne fait pas le poème ». La vérité elle-même est en mille morceaux, et ce sont ses « débris » que Sandra Moussempès réunit sous le titre polysémique Fréquence Mulholland.

Anne Malaprade, Poezibao


Insister sur la lecture de FM en tant qu’expérience, avec tout Lynch en tête (pas seulement MD), images et sons, à la recherche de moods, de voix, d’ambiances, de résonances, toujours mutantes, fortement chargées en harmoniques (donc en fréquences, ce qui nous permet de supporter l’usage de la tonalité). Traversant le miroir, celle ou celui qui parle rend incertaine son identité, et ce faisant, la renforce, se frottant à ce qui (la) traverse : l’illumine (verbe impossible à utiliser aujourd’hui pour cause d’inflation journalistique, mais on se permettra une dérogation). En bref : d’un trip à l’autre, un entretien des vestiges…

Christian Rosset, Diacritik


Rien d’étonnant à ce que Sandra Moussempès tire un recueil entier de Mulholland Drive (2001), son film fétiche déjà évoqué dans certains de ses précédents livres, fascinée qu’elle est par la création d’ambiances singulières, les jeux de miroirs autofictifs… la tension entre parole et silence, rêve et réalité, réalité et représentations codées. Nous retrouvons ici Betty et Rita, mais d’un lieu de révélation Silencio est devenu un amant pervers, qui fait son cinéma de séducteur avant d’abandonner brutalement la narratrice : au passage, nous entrevoyons le « chemin de croix érotique » d’une « diagnostiquée hypersensible » qui, souffrant de dépendance affective, s’en remet à « une coach nouvelle génération » (p. 108) dont les injonctions sont tournées en dérision.

Dans un décor hollywoodien, entre autres, elle s’irréalise via ce chef-d’œuvre de David Lynch : dans sa camera obscuraintérieure défilent les figures obsessionnelles qui hantent ses livres (les sorcières Vesta et Lilith… la mauvaise mère… le père admiré…). L’écriture spectrale permet de donner corps à ses fantômes : « Par le biais du biopic fantôme, les voix off et les cris stridents prennent place dans le grain du papier, chaque page recelant sa tessiture divinatoire » 

Fabrice Thumerel, Libr-critique


Chaque nouveau livre de Sandra Moussempès nous plonge dans un univers onirique délicieusement transgressif et inquiétant. Avec Fréquence Mulholland la poétesse poursuit son expérimentation d’une réécriture de l’image et d’une « écriture-fantôme », (pour reprendre l’expression d’Anne Malaprade), faisant du poème le laboratoire de nouvelles expériences de poésie ectoplasmique. (…) La poétique résolument figurative et assertive de Sandra Moussempès (ses poèmes se composent le plus souvent d’énoncés qui sont autant d’assertions — une esthétique qui n’est pas sans rappeler, par certains aspects, les travaux d’Édouard Levé) confère au livre un statut d’installation textuelle, comme si le texte-image était la projection d’un poème déroulant sur la page-écran. L’autrice reconnaît d’ailleurs dans un entretien interroger « la potentialité cinématographique de l’écriture ».

Guillaume Richez, Les imposteurs


Eric Pessan

Lire Sandra c’est accepter de lâcher prise, d’être percuté par les images, de ne plus s’étonner des coïncidences, de renoncer à comprendre pour mieux comprendre. L’énigme est magnétique, peu importe sa résolution. L’écriture de Sandra Moussempès – fantomatique, télépathique, chamanique ? – est profondément imagée. Adossés au film de David Lynch, les poèmes ici évoquent cinéma, femmes fatales, désirs, traumas souterrains… L’autrice tresse très serrée ses textes entre autobiographie, références cinématographiques ou littéraires, et pratique médiumnique, rien n’est jamais clairement dit mais tout se comprend. C’est l’immense force et singularité de son écriture : elle agit par infusion, elle court-circuite l’intelligence pour convoquer le sensible. Et à peine le livre fini, j’ai envie de le reprendre (j’ajoute une mention pour l’éditeur qui a su donner une forme particulière à l’ouvrage, avec sa très élégante couverture en imitation moleskine qui transforme le livre en carnet).